« Il est en effet plus difficile de mettre des répliques constamment drôles dans la bouche d’un personnage que de prétendre (paresseusement et sans donner de preuve) qu’il l’est. »* - Marc Fisher
En tant que
lectrice (acharnée) et auteure (à temps perdu… — un peu d’autodérision ici),
mon expérience m’enseigne que dans les romans, un peu comme au cinéma, il ne
suffit pas de dire les choses, il faut surtout
les mettre en action, car c’est ainsi que l’émotion naît (en tout cas, c’est
comme ça pour moi!), et cela est normalement garant de l’intérêt du lecteur à
poursuivre sa lecture.
Voyons deux
exemples pour expliquer ce qu’est la preuve romanesque :
Texte 1
« Depuis la deuxième secondaire, Roxanne est éprise du beau Hugo, qui de
son côté ne semble pas la remarquer. Roxanne est consciente que sa réputation
de première de classe ne l’aide en rien à attirer l’attention des garçons. La
jeune fille soigne pourtant son apparence et, sous les conseils de sa meilleure
amie Claudia, a récemment osé le maquillage. Elle a mérité quelques
compliments, mais évidemment pas de la part d’Hugo. Roxanne voudrait tant qu’il
la remarque! Secrètement, elle échafaude différents scénarios dans lesquels
elle trouve enfin le courage de lui parler. »
Texte 2
« Roxanne jette un regard désintéressé au pupitre libre à côté du sien.
La porte qui s’ouvre en grinçant attire alors son attention. Hugo fait son
entrée et repère aussitôt le seul pupitre disponible. Plus le jeune homme
avance, plus vite bat le cœur de Roxanne. Elle sent le rouge monter à ses joues
et la panique l’envahit à la seule idée qu’il puisse la voir ainsi. Roxanne
jette un coup d’œil vers sa meilleure amie Claudia, assise sur sa droite.
Celle-ci lui glisse entre les doigts le tout nouveau gloss acheté la veille, soulignant son geste d’un clin d’œil
complice. Nerveusement, Roxanne applique le rose sur ses lèvres.
— Je suis content d’être à côté de toi, entend-elle alors. Toi, t’es
bonne en maths, je vais peut-être finir par comprendre de quoi!
Levant les yeux, Roxanne manque de
s’étouffer en réalisant qu’Hugo lui adresse la parole. Incapable d’articuler un
mot, elle tente un sourire maladroit. Zut!
Je dois absolument trouver le moyen de lui parler sans avoir l’air d’une
imbécile, se promet-elle. Après tout,
on sera voisin de pupitre pour le reste de l’année. Roxanne sourit à cette
pensée. »
Dans le premier
texte, on nomme, on présente les sentiments amoureux de Roxanne. Dans le
deuxième, on met en scène ces mêmes sentiments, on prouve l’amour qu’elle éprouve pour Hugo en montrant les «
symptômes » de cet amour (son cœur qui bat plus vite, le rouge sur ses joues,
sa nervosité, son incapacité à lui parler). Cela ressemble à la façon dont nous
percevons nos propres sentiments (et reconnaissons les sentiments chez les
autres), ce qui donne de la profondeur aux
ressentis de nos personnages et facilite l’apparition d’un ressenti
similaire chez le lecteur.
De plus, le
texte 2 a l’avantage de mettre les personnages en action. On y trouve un début
d’intrigue (Hugo sera assis aux côtés de Roxanne toute l’année) qui laisse
entrevoir le développement d’autres péripéties et sous-intrigues (Roxanne
tentera diverses actions pour tirer profit de cette situation et atteindre son
objectif : avoir l’attention d’Hugo).
La preuve romanesque est donc essentielle.
Elle s’élabore dès les premières esquisses des descriptions de nos personnages
et de notre plan, puisque les contextes, actions et réactions en sont des
éléments centraux.
Karine
* Source :
FISHER, Marc. Conseils à un jeune
romancier, Montréal, Québec Amérique, 2000, page 124
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